
Si nous nous référons aux développements de Prosper WEILL, les contrats pétroliers qui lient l’Etat aux compagnies pétrolières présentent, pour les compagnies pétrolières, deux aléas: un aléa économique et un aléa de souveraineté. L’aléa économique selon lui découle des inévitables fluctuations de la conjoncture économique. Quant à l’aléa de souveraineté, il dérive de la faculté pour l’Etat d’accueil d’user, lors de l’exécution de l’accord, de pouvoirs qui découlent non pas de sa qualité de contractant mais de celle d’Etat souverain.
Il explique ainsi que l’Etat hôte a la maitrise de son droit interne et peut, par des mesures constitutionnelles, législatives ou réglementaires, modifier l’environnement juridique dans lequel le contrat s’exécute. Ces modifications apparaissent ainsi comme des risques pour l’investisseur lorsqu’elles ont traits à des dispositions fiscales, douanières, monétaires ou sociales. Cet aléa de souveraineté encore appelé aléa législatif confirme l’idée selon laquelle, la conception d’un contrat équilibré entre les Etats et les investisseurs est très difficile.
Toutefois, dans le cadre des contrats pétroliers, la clause de stabilisation apparait comme une solution pour réduire ces aléas.
Il s’agit de stipulations qui consistent à geler la capacité de l’Etat de modifier son corpus normatif après avoir accepté le contrat pétrolier.
C’est-à-dire que les règles nationales applicables au contrat à sa date d’entrée en vigueur demeureront les mêmes durant toute la période d’exécution.
Elle est d’une part, un moyen de neutralisation des pouvoirs normatifs et réglementaires de l’Etat et d’autre part une garantie contractuelle pour l’investisseur. Le professeur Pierre MAYER expliquera en outre que cette neutralisation est un critère déterminant de distinction entre le contrat administratif et le contrat d’Etat. Car, dans le contrat administratif l’Etat jouit pleinement de ses prérogatives de puissance publique notamment de son pouvoir de révision unilatérale du contrat, Alors que la clause de stabilisation comme d’autres clauses des contrats ont l’apparence d’une expression de la souveraineté alors qu’elles sont foncièrement limitatives de son exercice.
Pour le cas du Sénégal,l es contrats pétroliers sont conclus sous l’empire du code pétrolier de 1998 dont la vocation principale était d’assurer une promotion du bassin sédimentaire sénégalais par l’assouplissement des conditions d’accès et des obligations contractuelles. Cependant, après la découverte des hydrocarbures, le législateur sénégalais a hâtivement entrepris des réformes pour la préservation des intérêts nationaux dans l’exploitation des hydrocarbures.
Mais cette réforme se heurte, pour son application aux contrats pétroliers en cours, à la stabilisation desdits contrats.
En effet, le Code de 1998 qui consacre la clause de stabilisation dans tous les contrats pétroliers sénégalais en vigueur, disposait ainsi qu’ « Une convention ou un contrat de service peut contenir une clause relative à la stabilité de conditions législatives et réglementaires à la date effective de l’accord ». Cette idée d’une stabilisation générale est corroborée par les contrats en vigueur, conclus sous l’empire du code de 1998 dans lesquels nous pouvons lire cette stipulation commune : « Il ne pourra être fait application au contractant d’aucune disposition ayant pour effet d’aggraver, directement ou par voie de conséquence, les charges et obligations découlant des régimes visés par le Code pétrolier et le Code Général des Impôts, tels que ces régimes sont définis par la législation et la réglementation en vigueur à la date de signature du présent contrat, sans accord préalable des parties ».
En outre, l’application de dispositions nouvelles à ces contrats ou même leur renégociation restent entièrement suspendues à la volonté commune des parties au contrat et non au pouvoir normatif de l’Etat.
Ce modèle de stabilisation rigide sera d’ailleurs corrigé dans le nouveau code pétrolier qui a permis de marquer une évolution sur la stabilisation des contrats pétroliers.
Dans sa nouvelle consécration, la clause de stabilisation apparaît beaucoup plus flexible. Ainsi, l’article 72 du nouveau Code Pétrolier dispose que : « Le Contrat pétrolier peut inclure une clause de stabilisation du contexte législatif et réglementaire à la date d’entrée en vigueur, permettant aux contractants et à l’Etat, au cas où des dispositions législatives ou réglementaires postérieures à la date d’entrée en vigueur du contrat pétrolier viendraient bouleverser son équilibre économique, à requérir soit la non‐application des dispositions financièrement aggravantes, soit un ajustement des dispositions contractuelles de nature à rétablir l’équilibre économique initial ».
la nouvelle disposition relative à la stabilisation prend en compte spécialement l’aspect de l’équilibre économique en préservant les parties de l’application des dispositions pouvant bouleverser l’équilibre économique du contrat. Elle entre dans la catégorie des clauses de stabilisation dites spéciales.
Elle s’aligne également aux nouvelles formes de clauses de stabilité. Car, évoquant des exceptions à la stabilisation.
Les dispositions de l’article 72 cité ut-supra sont ainsi complétées infine par cet alinéa : « Sont toutefois exclus de la clause de stabilisation ci‐dessus les coûts additionnels occasionnés par une modification de la réglementation en matière de sécurité des personnes, de protection de l’environnement, de contrôle des opérations pétrolières ou de droit du travail, à moins que ces modifications ne soient pas conformes aux pratiques internationales ou qu’elles soient appliquées à un contractant de manière discriminatoire ».
En définitive, la stabilisation même si elle permet de garantir une protection et une bonne foi à l’investisseur, ces revers notamment sur la souveraineté permanente du peuple sur ces propres ressources ne peuvent être ignorés. En plus de l’incontournable question que dégage cette réflexion : l’effectivité et l’opérationnalité des nouvelles réformes du cadre juridique des contrats pétroliers.
Mouhamadou SARR, juriste d’affaires, diplômé de l’Université Alioune Diop.