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Macky Sall « Nous devons gagner au plus vite la bataille pour notre souveraineté alimentaire »

Entretien - Marc de Miramon

Président en exercice de l’Union africaine, le chef de l’État sénégalais, Macky Sall, revient sur les conséquences dévastatrices pour les économies d’un continent déjà affaibli par la pandémie. Il constate que le conflit en Ukraine provoque une inflation des produits de première nécessité et une pénurie alimentaire. Il propose sa médiation pour influer sur le conflit.

Quelles sont les répercussions attendues de la guerre en Ukraine sur l’économie et le pouvoir d’achat au Sénégal et sur le continent africain ?
Ces répercussions ne peuvent être que néfastes, avec la hausse vertigineuse des prix des hydrocarbures et autres produits de première nécessité, dont la nourriture, alors même que le monde continue de subir l’impact de la pandémie de Covid. Naturellement, ce sont les économies les plus faibles, dépourvues de surcroît de mécanismes de résilience conséquents, qui souffriront le plus des effets économiques et sociaux de la guerre.

« Nous devons gagner au plus vite la bataille pour notre souveraineté alimentaire. »

Cette situation, comme celle résultant de la pandémie, nous rappelle la nécessité de gagner au plus vite la bataille de notre souveraineté alimentaire en investissant massivement dans l’agriculture et la transformation de nos produits agricoles. C’est l’une des grandes priorités du Sénégal avec le plan d’actions prioritaires ajusté et accéléré (PAP2A) que nous avons adopté en septembre 2020 pour préparer la relance économique post-Covid. Le secteur agricole occupe une place de premier choix, ce qui justifie l’augmentation du budget consacré à la campagne agricole, qui passe à 70 milliards de francs CFA (107 millions d’euros) cette année, contre 60 milliards l’an dernier.

Craignez-vous le retour des émeutes de la faim qui ont secoué l’Afrique en 2007 et 2008 ?

Face à tant d’incertitudes et de facteurs aggravants d’une crise à l’autre, rien n’est exclu a priori. C’est pourquoi tout doit être fait pour mettre fin au plus vite à ce conflit et s’asseoir autour de la table pour trouver une solution négociée à la crise. La guerre est la faillite de l’humanité.

Toute la sous-région est en proie à l’instabilité et la menace djihadiste frappe à vos portes. Y a-t-il, selon vous, une réponse militaire à cette autre crise ? Plaidez-vous, en tant que président de l’Union Africaine, pour une tentative de règlement en impliquant les armées locales ?
L’extrémisme religieux est un phénomène mondial qui peut prendre une forme violente. Elle frappe partout, avec des ampleurs, des formes et des modalités différentes. Notre sous-région ne fait pas exception. Depuis plus de dix ans, l’Afrique y est confrontée, de la zone sahélo-saharienne à la Corne de l’Afrique et en Afrique australe via le bassin du lac Tchad.
« La réponse à l’extrémisme violent doit aussi être éducative et économique. »
Aujourd’hui, c’est l’existence même de nos États qui est en jeu. C’est pourquoi nous n’avons pas d’autre choix que de répondre par une réponse militaire, même si cela ne suffit pas. La réponse à l’extrémisme violent doit également être éducative et économique. Bien sûr, la réponse est avant tout la nôtre. Nous avons besoin d’armées bien dotées en personnel, bien entraînées et bien équipées, un objectif que tant d’années d’ajustements structurels n’ont malheureusement pas permis d’atteindre. Mais nous ne devons pas être seuls à lutter contre le terrorisme en Afrique. Il s’agit d’une responsabilité mondiale qui engage en particulier le Conseil de sécurité.

Par ailleurs, le Sénégal a, par exemple, toujours plaidé pour que la Minusma (la mission intégrée multidimensionnelle des Nations unies pour la stabilisation au Mali), actuellement composée de près de 15 000 éléments, se voie confier un mandat robuste et des équipements conséquents lui permettant de lutter contre le djihadisme. Ce n’est pas le cas à ce jour. Cependant, je ne crois pas que les groupes terroristes qui sévissent en Afrique puissent l’emporter sur une coalition militaire internationale suffisamment constituée en nombre, bien équipée et déterminée à combattre.

En tant que président de l’Union africaine, vous avez rencontré le 9 mars Vladimir Poutine. Que retenez-vous de ce dialogue et comment l’UA peut-elle intervenir pour faire taire les armes ?
Je dois préciser que cet appel était de mon initiative et que le président Poutine a eu la gentillesse d’y répondre sans délai. Ce fut un dialogue serein et courtois qui dura près d’une demi-heure. Il a pris soin de m’écouter et m’a également expliqué sa version des facteurs explicatifs de la crise, indiquant qu’il restait ouvert au dialogue.
Cette crise est majeure en ce sens qu’elle engage directement une grande puissance et fait réagir d’autres grandes puissances, toutes deux dotées des plus grandes capacités militaires au monde, dont l’arme nucléaire. On imagine les conséquences catastrophiques qu’aurait un affrontement entre ces puissances sur le monde entier. Une guerre qui éclate, on ne sait ni quand ni comment elle se terminera, la particularité ici étant qu’elle implique directement une grande puissance avec un risque potentiel de dérapage.

Personne n’a intérêt à ce que cette situation perdure. Il est donc du devoir de chacun de s’impliquer pour mettre fin au conflit et rechercher une solution négociée. L’UA ne prétend pas faire taire les armes mais lorsque le sort de l’humanité est en jeu, nous avons tous l’obligation d’appeler à la paix, car nous avons une humanité commune. C’était le sens de mon initiative.

Le Sénégal s’est abstenu lors du vote des Nations Unies condamnant l’invasion de l’Ukraine. Qu’est-ce qui a motivé la décision de votre pays ?
Tout d’abord, je dois dire que, dès le 24 février (date de l’invasion russe – NDLR), en ma qualité de président actuel de l’UA, avec le président de la commission de l’organisation, nous avons publié une déclaration sans équivoque appelant au respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Quant au vote du Sénégal, il est dicté par nos propres impératifs nationaux.
Lorsqu’une situation de cette nature éclate, notre pays se détermine en fonction de sa propre appréciation des faits, de sa dynamique interne et externe et en fonction de l’évolution de la situation. C’est ce que nous avons fait. Par ailleurs, si le Sénégal s’est abstenu sur la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies, il a voté quelques jours plus tard en faveur de la résolution du Conseil des droits de l’homme. Nous respectons le choix de chaque pays. De la même manière, nous attendons de chaque pays qu’il respecte le nôtre.

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